A la poursuite des Chamusants, épisode 2

Publié le par Le Rat Mort

Résumé de l'épisode 1: Il est pas long, allez le (re)lire

nopict3.jpgJe lui demandais si il n'avait pas une idée pour en sortir. Il m'entraîna dans un parc, et nous marchâmes coude à coude, les mains croisées dans le dos, errant sur la pelouse tendre et verte, allant de bosquet en bosquet, d'où s'échappaient parfois un fap fap des plus étranges, que je mettais sur le compte de quelque oiseau coincé dans les branchages. Le vieil homme m'expliquait que ce monde bizarre avait une porte de sortie, qu'il avait longuement cherchée, mais jamais trouvée. En effet, cet univers était dominé par les chamusants, l'espèce qui avait bâtie la porte... à l'instar de tout son mobilier, c'est à dire invisible. Eux seuls étaient donc en mesure d'indiquer son emplacement.

Le temps qu'il m'explique tout cela, nous étions arrivés dans un kiosque à musique et nous nous reposions de notre promenade, quand une voix connue s'éleva.

«On n'entre pas si facilement chez les chamusants. »

Assis au fond du kiosque, mon discoureur barbu, qui m'avait déjà donné de si précieux avis dans le bus, se retrouvait là, débarrassé de son manteau de fourrure pour profiter des premiers rayons de soleil. Il nous regardait d'un air supérieur, semblant mépriser notre esquisse de plan pour rentrer chez nous. Il daigna nous exposer que, descendant des félins classiques pantouflards, insolents et suffisants qui peuplaient les canapés de mon univers, les chamusants comme les chats étaient des connards. Ils avaient pourtant deux faiblesses: les sandwiches chauds au fromage et le Point Rouge. J'allais demander plus d'informations sur les moyens d'exploiter ces failles pour arriver à nos fins, mais mon sentencieux professeur s'était déjà levé et s'apprêtait à partir. Sans répondre à mes questions, drapé dans sa dignité, il s'éloigna le regard haut et descendit les marches du kiosque avec majesté.

Enfin, sur les trois premières marches. La dernière se déroba sous son pied et notre solennel ami vint tournebouler fourrures par dessus tête toute majesté évanouie au pied de l'escalier. A quelques mètres de là, un quidam qui avait observé la scène en considérait la chute avec une cruelle délectation. Les yeux gonflés, les pupilles dilatées, les lèvres étirées en un sourire contenu, son visage se déformait d'une joie malsaine et comprimée en voyant le ridicule de cette cabriole.

« Ca me plaît », sussura-t-il pour lui même avec un fort accent espagnol alors que l'autre s'éloignait en boitillant. Ce nouvel énergumène vint prendre sa place auprès de nous, ayant manifestement écouté toute notre conversation. Lorsqu'il fut à notre hauteur, son visage se distordit de nouveau. Tendant les mains vers moi, penché en avant, la bouche en cœur et les sourcils fronçés, il me fit:

«Contre des chats. Pourquoi tu demandes pas de l'aide aux chiens? »

Il est vrai que le chien étant à la fois l'ennemi naturel du chat (au même titre que l'effort et l'altruisme), et le meilleur ami de l'homme (au même titre que Google et la femme), il semble légitime qu'un chien puisse nous être utile dans notre quête.

Notre copain protéiforme ajouta qu'un golden retriever versé dans les arcanes de la science frétillerait certainement de la queue à l'idée de nous aider. Ayant accepté sa proposition, nous nous mîmes en route à travers le parc. Notre surprenante compagnie, composée d'un vieillard dépressif, d'une cuitarde échevelée et d'un maigrelet au visage rond et instable avait de quoi surprendre. Traversant un petit bois qui terminait le parc, notre passage imprévu fit se retourner brutalement une marmotte autochtone, qui se figea entre terreur et stupéfaction à la vue de notre groupe.

Après avoir traversé un parking désert, nous arrivâmes près d'un bâtiment désaffecté, un peu croulant, que les gens de bon sens et bien éduqués manifestement évitaient. Devant la façade, l'appréciant avec l’œil plissé et une profonde concentration, un rouquin méchu se tenait.

«Pas sûr que ce soit le Cuiss'o'club, murmura-t-il pour lui même, ou le Musée d'Art Moderne. »

Je compris ses hésitations. Moi, même, j'avais tendance à confondre squats délabrés, clubs échangistes miteux et expositions d'art contemporain, ce qui m'avait valu des rencontres imprévues et pittoresques avec des pots de peinture placés derrière des sucriers au nom de la création. Nous passâmes près de lui, imperturbable, perdu dans ses méditations, et pénétrâmes dans l'édifice. Après avoir déambulé dans des couloirs sordides, notre guide frappa à une porte. Un jappement enthousiaste lui répondit, et nous entrâmes dans une espèce de laboratoire baigné de rose et de bleu.

Face à l'entrée, un clebs à la langue pendante, l'air enjoué et le poil beige, la truffe humide et l'oeil doux protégé par de larges lunettes, se tenait derrière une paillasse encombrée de fioles et de bechers fumants et colorés. Il agita la queue avec conviction à notre arrivée, comme si nous voir était le plus réjouissant des événements possibles, puis il nous conseilla gaiement de rester en retrait.

« Je n'ai aucune idée de ce que je fais d'enculé », aboya-t-il pour explication.

Après avoir dissous le contenu d'une fiole dans celui d'une tasse, il quitta son expérience, et trottina autour de nous, reniflant chacun de ses visiteurs. J'expliquais mes mésaventures avec brièveté, et, bien qu'osant exprimer en mon for intérieur un doute quant à sa valeur scientifique, je demandais son assistance pour convaincre les chamusants de me laisser partir. Il se laissa tomber sur son train arrière, dressa les oreilles, et acquiesca. Il me promit de me confier le fameux Point Rouge qui, une fois libéré, rendait les félins complètement fous. Je n'aurais qu'à dégainer et une indescriptible frénésie s'emparerait de chaque chamusant à portée.

Notre changeant compagnon leva alors un poing batailleur pour soutenir ce plan.

« Yeeah, hurla-t-il avec euphorie. Harcelons TOUS les chamusants! »

Je rabaissais son bras d'un geste brusque et d'un regard noir. J'ai horreur des exaltés. Son visage se décomposa à nouveau, les commissures de ses lèvres retombèrent et il fixa ses pieds d'un air déconfit en murmurant un « okay » presque inaudible.

Le chien m'expliqua toutefois que je devrais menacer les chamusants avant le lendemain. Lorsque je demandais pourquoi, le sympathique toutou bondit sur ses pattes et me désigna le calendrier de la truffe.

« Parce qu'aujourd'hui c'est vendredi, vendredi, faut s'amuser le vendredi, tout le monde attend le week end, vendredi, vendredi, faut s'amuser le vendredi ».

A suivre... 
A la poursuite des Chamusants, épisode 3

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